Majestueux,
l'Aigle Royal semble être porteur de nombreuses
identifications et projections humaines. C'est ainsi
qu'il fut de tous temps, et paradoxalement, objet de
craintes et d'admiration.
Craint,
voire haï, l'Aigle Royal fut chassé et pourchassé
dans toute l'Europe durant des siècles. Il a
été même injustement accusé
de capturer de jeunes enfants comme proies. Ces vieilles
légendes sans grand fondement étaient
encore enseignées il y a cent ans dans nos écoles
françaises. La peur de l'aigle, comme celle du
loup, s'était ancrée dans les esprits
jusqu'à faire obligation aux gardes forestiers
de détruire systématiquement tous les
rapaces, et une prime était allouée à
chaque paires de pattes rapportées et dûment
enregistrées sur les registres de l'Etat. Sans
évoquer ces fantasmes d'infanticide, l'Aigle
Royal était tout simplement considéré
comme nuisible. Son rôle de régulateur
dans la nature n'est d'ailleurs toujours pas reconnu.
Désormais, si nombre de rapaces, dont l'Aigle
Royal, sont protégés (depuis 1972), ce
dernier reste en danger d'extinction. Cela est dû,
certes, à la sélection naturelle qui tend
à éliminer le puîné d'une
petite famille, mais également au développement
intempestif d'activités de loisirs montagnards.
Si le taux de population semble toutefois se stabiliser
dans les Alpes et les Pyrénées, notamment
depuis la création de parcs nationaux, l'Aigle
Royal se raréfie par contre dans le Massif Central
et en Corse où il demeure la cible de trop nombreux
fusils.
Admiré,
il fut le symbole de force tranquille, de puissance,
de maîtrise de soi, de fierté et de liberté.
Cette source d'admiration réside probablement
dans l'allure de son vol majestueux et son regard expressif.
Son
vol est en effet particulier : l'Aigle Royal est doué
pour utiliser les courants aériens. Il choisit
les ascendances thermiques et dynamiques des versants
ensoleillés et se laisse planer, apparemment
sans effort, en dessinant de grandes spirales. Sa queue
lui sert de stabilisateur, tandis que les rémiges
primaires de l'extrémité de ses ailes
forment de petites ailes individuelles. La queue et
les ailes étalées représentent
une surface de portage de plus d'un mètre carré.
L'Aigle Royal peut ainsi monter très haut dans
le ciel, traverser les nuages, puis redescendre langoureusement
vers de nouvelles ascendances. Cette nonchalance apparente,
ponctuée de quelques rares et discrets battements
d'ailes, lui permet de raser les pentes, frôler
les crêtes, s'abaisser rapidement dans les vallées,
ou piquer brusquement en ligne droite pour fondre sur
sa proie, forçant ainsi admiration et respect.
Sa puissance de vol suscite l'envie des hommes.
La
capture d'une proie ne serait rien sans la vue perçante
de ce chasseur émérite. L'Aigle Royal
possède une acuité visuelle remarquable,
deux fois supérieure à celle de l'homme.
Ses yeux, aussi gros que ceux de l'homme, sont dirigés
vers l'avant. Ils lui permettent, par une vision binoculaire
supérieure à 50°, une grande captation
de la lumière et une grande appréciation
des distances. Le repérage des proies devient
facile, la mise au point très précise.
De plus, le cristallin placé loin de la rétine,
produit un effet télescopique qui permet à
l'Aigle Royal de percevoir une marmotte à plus
d'un kilomètre ! Enfin, une troisième
membrane descend sur l'il pour en assurer son
nettoyage instantané et son humidification. L'arcade
sourcilière est saillante, conférant à
l'Aigle Royal cette impression de fierté et de
détermination.
Grâce
à ses puissantes pattes, munies de griffes redoutables
appelées serres, l'Aigle Royal capture et tue
ses proies presque instantanément. Ses proies
favorites sont essentiellement constituées de
lagopèdes (Oiseaux de taille moyenne) et de lièvres
variables, mais ceux-ci, habillés de blanc en
hiver, sont difficilement repérables sur la neige
malgré l'il performant de l'aigle. Quant
aux marmottes, elles hibernent en hiver ! C'est pourquoi
l'Aigle Royal se nourrit également d'autres gallinacés,
tels que le tétras et tétras-lyre, coq
Bartavelle, hermines, campagnols, chamois, cabris, bouquetins,
renardeaux, etc. Ces derniers se transformeront d'autant
plus en festins royaux, que ce seront des jeunes de
l'année ou des animaux malades, affaiblis et
donc faciles à capturer. Le bec crochu de l'Aigle
Royal, puissant et acéré, lui permet de
déplacer et dépecer ses proies sans difficulté.
Ce n'est qu'exceptionnellement, et en période
de grande disette, que l'aigle deviendra charognard.
L'Aigle
Royal est un rapace diurne. Il est de taille imposante
: son envergure varie entre 2 m (pour les mâles)
à 2,20 m (pour les femelles). Son poids se situe
entre 3-4 kg (mâles) et 5 et 4-6 kg (femelles).
Son
plumage n'a rien de remarquable. Il n'est pas richement
coloré : la couleur de l'adulte est uniformément
sombre (brune sur tout le corps et jaune paille sur
la nuque), tandis que celle du jeune présente
de larges taches blanches à la base des rémiges
primaires, barrées de noir à leur extrémité.
La queue est de longueur moyenne, un peu arrondie.
Avant
l'arrivée du printemps (février-mars)
l'Aigle Royal s'attaque aux "choses sérieuses"
: la parade nuptiale. Cette parade s'effectue aussi
bien chez les jeunes encore solitaires que chez les
couples déjà formés (pour la vie)
et sert alors à resserrer les liens entre les
deux partenaires. Le mâle se transforme alors
en véritable acrobate aérien. Sa technique
de vol dite "du feston", sert autant à
signaler aux éventuels intrus qu'il vaut mieux
laisser place libre, qu'au mâle à séduire
la femelle dans d'éblouissantes cascades aériennes.
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Un
couple d'aigles royaux occupe un vaste territoire de
chasse de 30 à 200 km². Chaque couple y
possède une à six aires de nidification,
utilisées par rotation ou comme "logement"
de substitution en cas de dérangement. Les nids
sont rarement construits dans des arbres, plus généralement
au sein d'une paroi, abritées du soleil et de
la pluie si possible par un surplomb rocheux. Ils se
situent entre une altitude de 1200 et 2000 mètres,
théoriquement inaccessible. Les nids, régulièrement
entretenus et régulièrement rénovés
de feuillages et branchages du fait du système
de rotation, deviennent au fil des ans énormes,
pouvant atteindre 5 mètres de hauteur.
La
ponte d'un uf (ou deux à quelques jours
d'intervalle), survient vers la fin du mois de mars
ou le début d'avril. La couvaison dure 43 à
45 jours. Elle est assurée par la femelle, dont
la partie ventrale se dénude pour se transformer
en une véritable plaque d'incubation. Le mâle
relaie néanmoins quotidiennement la femelle,
mais sans toutefois assumer le gros du travail. Les
petits, appelés aiglons, naissent à la
fin mai. Ils sont recouverts d'un duvet entièrement
blanc. Ce n'est qu'au bout de 5 semaines que la couleur
brune apparaîtra sur les plumes des aiglons, jusqu'à
s'étendre sur presque tout le corps. Les parents
vont assurer l'élevage de leur petite famille.
Le mâle devient très actif ; c'est lui
qui s'occupe de rapporter le "pain quotidien".
La femelle prend en charge la préparation des
repas (déchiquetage des proies) et donne la becquée.
Là
peut se jouer un drame : si deux aiglons sont nés,
l'aîné est privilégié au
détriment du puîné, notamment lorsque
la nourriture se fait rare. L'aîné, petite
boule de duvet blanc si douce à voir, se transforme
en véritable tyran. Soit, il persécute
son frère ou sa sur, jusqu'à le
pousser hors du nid, soit le cadet mis à l'écart
s'affaiblit et finit par mourir de faim et de froid.
Cette lutte fratricide ne sera pas entravée par
la mère qui, pour donner un maximum de chance
de survie à l'aîné, n'intervient
pas pour protéger la vie du cadet.
Des
expériences prometteuses sont actuellement menées
dans le but de sauvegarder l'espèce : le second
petit oisillon est très discrètement prélevé
dans le nid et confié à des parents adoptifs
d'autres espèces, comme le milan noir par exemple,
qui accepte bien ce bec de plus à nourrir.
Entre
la ponte et le premier envol des aiglons, il s'écoule
environ quatre mois durant lesquels les parents chassent,
nourrissent, protègent des intempéries
(en l'absence de surplomb rocheux protecteur) et des
prédateurs. En fait, seul le grand corbeau représente
un réel danger pour les aiglons. A deux mois
et demi, c'est-à-dire vers la fin juillet-début
août, les petits sont prêts à se
lancer dans les airs et les parents, pour les y inciter,
commencent à espacer leurs apports de nourriture
et leurs visites au nid. Ils finiront même par
cesser complètement de nourrir les aiglons, sans
néanmoins interrompre la surveillance du nid.
Les aiglons ont déjà commencé une
gymnastique intensive qui renforce la musculature de
leurs ailes, conjuguée à une perte de
poids qui facilitera le décollage !
Et
voilà, les petits adolescents ont pris leur envol.
Tout à la joie de cette liberté nouvelle,
ils vont pouvoir découvrir l'univers qui les
entoure et ces belles montagnes qui les ont vus naître.
Pour les parents attentifs, le travail n'est pas terminé.
Ils devront encore leur apporter, au sol cette fois,
la nourriture abondante au cur de l'été,
qui réconfortera les jeunes. Le plaisir de voler
va désormais, et pour quelques mois, alterner
avec l'apprentissage incontournable des techniques de
chasse. Entre travail et récréation, les
apprentis vont acquérir progressivement une complète
autonomie et devenir ces rapaces majestueux qui écarquillent
les yeux et font rêver les humains.
Nombre
de rapaces sont donc désormais protégés,
voire réintroduits, comme le Gypaète Barbu.
Les interventions humaines tels que le développement
des loisirs montagnard, la curiosité qui amène
les photographes amateurs à trop s'approcher
des aires de reproduction, continuent néanmoins
à menacer ces espèces.
Les
protéger et les aimer, c'est mieux les connaître,
mais sans les déranger. Les aimer, c'est aussi
les soigner lorsqu'ils sont blessés. Dans le
cas où un rapace blessé est trouvé,
sa manipulation peut s'avérer dangereuse, tant
pour l'Oiseau que pour son sauveteur. Il convient plutôt
de signaler immédiatement une telle découverte,
en appelant la Ligue française pour la Protection
des Oiseaux (L.P.O.) au 05.46.82.12.34, ou tout simplement
prévenir la Gendarmerie qui se chargera d'alerter
les services compétents. Le téléphone
portable, en l'occurrence, peut être d'une très
grande utilité.
Joëlle
LECLERE - avril 2004
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