Le bébé et l'eau du bain

Voici environ un an, je me suis lancée dans l'élevage des Chanteurs d'Afrique. C'est leur taille (j'aime les petits becs droits) et bien sûr, leur chant, qui m'ont attirée, mais aussi leur sociabilité et leur caractère réputé agréable.

J'ai tout d'abord rencontré maintes difficultés pour réunir un, puis deux couples : à certains moments, les mâles sont introuvables, à d'autres ce sont les femelles qui se font rares. Tous deux peuvent se trouver carrément indisponibles, car ces petits fringillidés, encore trop souvent capturés et importés d'Afrique, redoutent la froidure de nos climats et, en hiver, il devient impossible de s'en procurer. De plus, si les mâles sont très recherchés, ils le sont uniquement pour leur chant. Rares sont les éleveurs qui s'occupent de la reproduction des Chanteurs d'Afrique. A croire que leur absence de couleurs et de mutations les rendent inintéressants. Ajoutez à cela l'absence totale de dimorphisme sexuel et le résultat devient carrément hasardeux.

En ce qui concerne le dimorphisme sexuel des Chanteurs d'Afrique, j'avoue avoir à peu près tout entendu : les femelles ont la tête plus plate, les femelles ont le poitrail plus blanc ; les femelles ont le croupion plus clair ; les mâles ont le bord des ailes ourlé plus foncé ou plus clair que les femelles ; les femelles sont plus grosses ou plus petites que les mâles ; les femelles sont plus bavardes que les mâles ; les femelles sont plus dépensières que les mâles… A mon humble avis, en présence d'un individu inconnu et face à la question "est-ce un mâle ou une femelle ?", la seule réponse parfaitement honnête devrait être : "Je ne sais pas". Ce que l'on peut affirmer de façon absolument certaine c'est que, pour différencier un mâle d'une femelle, en dehors du sexage génétique évidemment, seul le chant est fiable. Mais ce n'est pas l'absence de chant qui garantit le caractère féminin de l'Oiseau !



Après plusieurs mois de tâtonnements plus ou moins fructueux, j'ai tout de même réussi à réunir un couple dans un premier temps : le mâle, Peter, en septembre 2004 et la femelle, Winnie, en février 2005. En avril 2005 Peter, au terme d'une séduction intense et mouvementée, parvient enfin à cocher Winnie. A dater de ce jour, Winnie accéléra la finition du nid que Peter avait grossièrement débuté et quatre œufs furent pondus, en quatre jours. Deux des œufs présentèrent des fêlures et n'arrivèrent pas à terme. Des deux autres œufs, deux oisillons naquirent, à quatre jours d'intervalle. Fière de moi, j'ai longtemps regardé ces deux petites crevettes noires gigoter dans le nid. Longtemps j'ai scruté la maman et le papa remplir ces petits gosiers affamés. Trop longtemps d'ailleurs, puisque lorsque j'ai voulu baguer l'aîné, il avait déjà les yeux ouverts et, tout à coup, les bagues de 2 mm me sont apparues bien trop petites pour y enfiler une papatte. Que faire ? Je restais dans l'expectative. Le lendemain de ce grand moment de perplexité était un dimanche, jour du marché aux Oiseaux. Le conseil de mettre une bague d'un diamètre supérieur me fut donné. Transcendée par cette solution inespérée, je me suis attelée à la tâche dès mon retour à la maison.

Je me dois ici de préciser une chose : le baguage, pour moi, est une véritable hantise (d'où mon retard en la circonstance) . Maintenir entre mes gros doigts - du moins me semblent-ils comme tels à ce moment - une patte qui m'apparaît alors plus proche de l'aiguille à broder friable que du bâton de pèlerin, est toujours source d'appréhension. La peur de briser ce fétu de paille est d'autant accentuée que le petit a les yeux ouverts : il me voit, moi, ce gros prédateur, et gigote à qui mieux mieux, parfois même rameute ses parents. A chaque bagage d'un oisillon, je me dis : il te faudrait une main pour tenir "l'asticot qui gigote", une deuxième main pour tenir la patte, une troisième main pour enfiler trois doigts dans la bague et une quatrième pour tirer sur la bague, sans que celle qui tient la patte (la deuxième) et l'oisillon (la première) ne lâchent… Ce qui arrive d'ailleurs trois fois sur quatre en moyenne. Il faut alors recommencer : on respire, on se calme, on le calme et on parvient à baguer l'asticot, en tremblant, mais fière de cette immense victoire remportée sur l'adversité (l'adversaire n'étant pas l'Oiseau, cela s'entend).

Me voilà donc avec un oisillon sur les genoux en cette fin de matinée et une bague de 2,5 mm (les seules que j'avais en ma possession en dehors des 2 mm). Après trois ou quatre tentatives infructueuses, ô joie sans pareille, l'affaire est faite : le bébé est bagué. Forte de cette expérience et dans l'exultation de cette grande réussite, je décide de baguer immédiatement le cadet. Lui, avec quatre jours de moins, les yeux encore clos, me posa moins de problèmes et fut bagué en un tour de patte.

Le lendemain, à mon retour du travail, je jette un œil attendri sur les deux bébés. Ô rage, ô désespoir, il n'y a plus qu'un seul oisillon dans le nid : l'aîné. Panique à bord, je lance ma veste dans un coin, je chausse mes lunettes et cherche frénétiquement le cadet, prête à accuser la chatte d'avoir ouvert la cage, tiré le petit hors du nid, l'avoir sorti de la cage et croqué tout cru. Rapidement, je découvre le disparu niché entre deux couches de Sopalin, sous le sable, dans le fond de la cage. Il semble bien vivant et heureusement encore est tout chaud. Je le garde néanmoins dans le creux de ma main quelques instants avant de le replacer délicatement dans la chaleur de son aîné. Nouveaux regards attendris envers la petite famille… et regards de culpabilité envers la chatte.

Le lendemain matin, à l'heure du petit déjeuner des Oiseaux, horreur, le petit cadet a encore disparu. Je cherche, moins frénétiquement et le retrouve toujours au même endroit : blotti entre deux couches de Sopalin, au fond de la cage. Cette fois, après l'avoir remis au nid, plus de regards attendris, je me cache et, intriguée, j'observe. Il se passe manifestement quelque chose que je ne m'explique pas. Moi têtue. Moi curieuse. Moi aimer comprendre. Moi vouloir une réponse. Mais ce matin-là, pas de réponse. C'est dans l'après-midi que la réponse m'apparaît, et sans qu'il me soit nécessaire de me cacher. Là, sous mon nez, devant moi, sans une once d'hésitation, avec un culot monstre, j'assiste au spectacle de Winnie (la maman) prenant fermement dans son bec la bague du cadet et, comme le corbeau de la fable, elle ouvre son large bec et laisse tomber le tout hors du nid, jetant ainsi le bébé avec l'eau du bain !

Ce petit manège a duré quatre jours. Quatre jours pendant lesquels j'ai dû prêter une attention accrue à cette nichée. Quatre jours pendant lesquels j'ai craint d'avoir un oisillon présentant le syndrome du "bébé secoué". Le cinquième jour, Winnie a cessé de jeter son petit hors du nid et a continué ses activités de maman attentionnée.

Pourquoi s'en est-elle prise au cadet et pas à son aîné ? J'ai fait l'hypothèse que le cadet se présentait plus souvent que l'aîné les quatre fers en l'air, exhibant ainsi son bracelet argenté. Durant la surveillance accrue de la nichée, je n'ai en effet jamais vu l'aîné dans une autre position que couché sur le ventre, ses pattes bien rangées sous son ventre. Le cadet était aussi plus léger que l'aîné et peut-être plus facilement "jetable".

Que faire quand la bague de bébé ne plait pas à maman ?

J'ai discuté de ce problème avec deux membres éminents de deux sociétés ornithologiques (dont la nôtre). Deux propositions-conseils m'ont été donné(e)s :

1) Attendre la sortie du nid des oisillons et, dès la toute première sortie, baguer le jeune avec une bague d'un diamètre de 0,25 mm supérieur à celui préconisé pour l'espèce.

2) Baguer le jeune en temps utile avec la bague du diamètre préconisé, mais "tartiner" cette bague de stylo feutre de la couleur de la patte (une tenue de camouflage de la bague en quelque sorte).

Je n'ai pu essayer l'une ou l'autre de ces propositions-solutions car la petite canicule de juin a eu raison de la deuxième couvée. Mais, a priori, c'est la deuxième solution qui m'agrée le plus : camoufler la bague. Pour quelle raison subjective ? Tout simplement parce que, après la description que je vous ai faite plus haut de mon vécu du bagage, je préfère, de loin, tenter de maîtriser un jeune de 5-6 jours plutôt qu'un jeune de 15 jours. Restent, évidemment, deux solutions de facilité : ne pas baguer les Oiseaux et les priver ainsi de leur carte d'identité ? Fastoche, mais intenable pour un éleveur digne de ce nom. Faire baguer les oisillons par une tierce personne et ne pas remettre ainsi au lendemain ce que l'on peut faire faire par un autre le jour même ? Oui, certes. Mais le problème posé par le peu de goût de la maman pour les breloques demeure. Faut-il ensuite scotcher le bébé au fond du nid ?

Trêve de plaisanteries, vos expériences, conseils, astuces seront précieux sur ce site. Merci d'Avance.

Joëlle LECLERE - Avril 2006

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